Coronavirus : "Le message de Muriel Pénicaud est clair : Business as usual et au travail, les feignants !"

Publié le par angeline351

Coronavirus : "Le message de Muriel Pénicaud est clair : Business as usual et au travail, les feignants !"

Alors que les professionnels du système de santé se tuent littéralement à la tâche pour faire face à la pire crise sanitaire qu’ait connu le monde contemporain, le gouvernement ne parvient toujours pas à se défaire de son addiction au néolibéralisme. Ces Français qui font preuve d’un extraordinaire esprit de sacrifice dans les secteurs essentiels à notre vie commune en ces temps sombres, il veut les faire marcher à la carotte et au bâton. C'est que l’aristocratie stato-financière – pour reprendre les mots d'Emmanuel Todd – se trouve fort dépourvue face à l’effondrement spectaculaire de son idéologie, engendrant la panique. S’étant construits dans un univers parallèle où la capacité à entrer dans le moule est gage de réussite, ces petits clones ne sont capables de réagir qu’en suivant la seule logique qu’ils connaissent, celle qui permet de bien entrer et surtout de bien sortir de l’ENA.

ACQUIS SOCIAUX ET STRATÉGIE DU CHOC
Ainsi, sous couvert de "continuité de l’activité économique", ils ouvrent toutes les vannes pour remettre en cause les conquis sociaux sans même avoir l’élégance d’un petit clin d’œil pour Naomi Klein et sa stratégie du choc. Confiants dans l’état de sidération du pays, ils profitent de la situation pour faire passer des mesures antisociales en pariant sur le silence de leurs opposants. Car, ne nous y trompons pas, il y a bien deux niveaux de lecture à ce droit du travail d’exception que nous concoctent les cabinets ministériels en ce moment.

Que des travailleurs produisant des respirateurs soient amenés à travailler jusqu’à 60 heures par semaine pour faire face au péril, soit, mais la moindre des choses est de garantir leur protection

Le premier niveau de lecture, on peut l’entendre. Il consiste à permettre, de façon exceptionnelle et pour faire face à la crise, de déroger à certaines règles prévues par le code du travail. Ainsi, une des ordonnances prévoit qu’il sera possible de déroger à certaines durées maximales de travail ou minimales de repos "dans les entreprises relevant de secteurs d'activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale, déterminés par décret". A l’heure où ces lignes sont rédigées, ce décret n’a toujours pas été publié. Il conviendra de vérifier que le champ des entreprises concernées soit effectivement limité aux strictes nécessités de lutte contre le virus. Par ailleurs, ces dérogations exceptionnelles ne dédouanent pas les employeurs de leurs responsabilités en matière de protection de la santé de leurs salariés. Que des travailleurs produisant des respirateurs soient amenés à travailler jusqu’à 60 heures par semaine pour faire face au péril, soit, mais la moindre des choses est de garantir leur protection.

Mais il existe un second niveau de lecture dans l’ordonnance. Certains articles commencent par cette formule bien différente : "Lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19…" On trouvait déjà la magie néolibérale de ce type de formules vagues dans d’autres ordonnances non moins célèbres en septembre 2017. Les accords de performance collective introduits à l’époque et qui permettaient de licencier très facilement des salariés qui refuseraient de voir diminuer leur rémunération, par exemple, étaient ouverts "afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise". Car il ne s’agit plus, dans ce cas précis, de lutter contre le virus mais de permettre le prolongement de l’activité économique, dans l’intérêt des entreprises. Chacune d’entre elles pourra prétendre se trouver dans cette situation et, évidemment nous surprenons-nous à écrire, aucun contrôle ne sera effectué pour l’en dissuader. Tout employeur, même produisant des biens ou des services sans aucun rapport avec l’effort "de guerre" sanitaire, pourra légalement imposer les dates de prise de congés payés, de RTT ou puiser dans les comptes épargne temps de ses salariés sans avoir vraiment à le justifier.

On verra si les soignants sont prêts à renoncer à leurs RTT en fin de crise pour faire plaisir à Monsieur Peltier

Depuis que les responsables politiques ont fini par admettre, avec un dramatique retard dont il conviendra de mesurer l’ampleur, que nous faisions face à une crise exceptionnelle, les signaux "pro-business", comme ils disent, se multiplient. Pour Muriel Pénicaud il convient de "challenger" les entreprises et pour Bruno Le Maire d’inciter les travailleurs, par une carotte pouvant aller jusqu’à 2.000 euros mais laissée à la discrétion de l’employeur, à se rendre sur leur poste de travail. Comme si fabriquer des balles de tennis était aussi important que de construire des respirateurs. Un des avatars de l’armée des clones néolibérale, Guillaume Peltier, numéro 2 du parti Les Républicains, ne propose rien de moins que de supprimer des RTT aux Français pour financer la santé et l’agriculture. Il propose d’indemniser les salariés en incitant les employeurs à verser des primes de 5.000 euros… défiscalisés et désocialisés bien sûr. En résumé, pour financer l’hôpital public et aider l’agriculture il faut… diminuer les impôts. Voilà la limite de pensée de ces personnes : diminuer les impôts, diminuer les impôts, diminuer les impôts et que les pauvres paient à la place des riches. On verra si les soignants sont prêts à renoncer à leurs RTT en fin de crise pour faire plaisir à Monsieur Peltier.

ENDOCTRINEMENT NÉOLIBÉRAL
La mondialisation heureuse bat sérieusement de l’aile. Dans une Union européenne en état de mort cérébrale, les travailleurs venus de l’étranger, dociles et bon marché, ne peuvent plus circuler. Le ministre de l’Agriculture, tout penaud, vient relayer les suppliques de la FNSEA pour que les Français "qui ne travaillent pas" aillent donner un coup de main "évidemment rémunéré", se sent même obligée de préciser Sibeth Ndiaye, pour ramasser les fraises et les asperges. Ainsi, une fois encore les plus pauvres, par nécessité, devraient se déplacer et rester des jours entiers dans des situations dangereuses au risque de contracter le virus et de le rapporter dans leur foyer pour 8,03 euros net de l’heure. Et ensuite quoi ? Les fraises dans un camion puis à Rungis et chez le primeur parisien où le petit-bourgeois pourra aller faire ses courses bien ganté et bien masqué ?

Ou alors avons-nous un problème d’autosuffisance alimentaire… Il conviendrait dans ce cas de le dire clairement, d’épauler les agriculteurs en difficultés en mobilisant les moyens d’action de l’État, et appeler chacun à se responsabiliser plutôt que d’agiter une carotte toute flétrie sous le nez des plus pauvres. Comme ils font les courses pour leurs voisins malades, apportent gratuitement des pizzas aux soignants ou prêtent des appartements là où c’est nécessaire, les Français iraient dans les champs pour assurer la récolte nécessaire à nourrir le pays. Les endoctrinés du néolibéralisme ne peuvent pas comprendre une chose pourtant très simple : on ne va pas au front pour la solde.

Le pic de l’endoctrinement néolibéral a probablement été atteint lorsque Muriel Pénicaud s’est mise à traiter les professionnels du BTP de défaitistes. Ce sont les représentants patronaux qui ont dû alors rappeler la ministre à la raison. L’erreur est double. D’abord faire travailler des compagnons sur des chantiers en pleine période de crise sanitaire démontre une irresponsabilité criminelle désormais monnaie courante. Mais un point a été judicieusement relevé par de bons connaisseurs du secteur : les nombreuses entreprises de désamiantage en France disposent d’équipement de protection individuelle et collective extrêmement performants contre le virus. Les combinaisons étanches type 5, masques complets équipés de filtre FFP3 bien plus performants que les rares masques FFP2, système d'adduction d’air, installation de zones en surpression, sas de décontamination, etc. Le matériel n’est pas tout, les travailleurs formés à l’usage de ces équipements et les organismes de formation présents sur le territoire devraient déjà avoir été sollicités pour s’engager dans la lutte contre le Covid-19. Mais le message de Muriel Pénicaud est clair : Business as usual et au travail, les feignants ! Le travail. Voilà ce dont il s’agit en vérité.

Aucune main invisible n’est en mesure de mener la collectivité dans un effort commun

Comme en face de n’importe quel problème apparemment insoluble, il faut déplacer la question, abandonner nos logiciels trop souvent issus de siècles révolus. Dans l’illusion néolibérale, le travail est ce qui permet d’acquérir du pouvoir d’achat. Or, dans cette période de crise, beaucoup d'entre nous échangeraient volontiers du pouvoir d’achat pour du pouvoir de choix. Le choix de pouvoir rester à son domicile pour ne pas mettre en péril sa santé ou celle de ses proches. Le choix de ne pas se déplacer aussi pour ne pas participer à l’expansion de l’épidémie lorsque nos déplacements ne sont pas nécessaires. Mais aussi le choix de travailler au bien commun en aidant nos proches et nos concitoyens, même lorsque cela présente des risques. Aucun de ces choix n’est dicté par l’argent. Le travail fourni ne remplit pas les comptes en banque et ne se déverse pas dans une rage consumériste, de toute façon difficile à épancher en période de confinement.

Nous voilà presque revenus à l’"âge du pain" de Chilanti auquel Pasolini faisait référence dans Esprits corsaire et que nous rappelle Pierre-Yves Gomez dans L’intelligence du travail. Nos concitoyens, et même l’humanité toute entière, se trouve confrontée, l’espace d’un instant, au travail réel, celui entendu comme "l’activité de l’être humain qui, confronté à des contraintes, produit selon un projet déterminé, quelque chose pouvant servir à d’autres" (toujours P-Y. Gomez) et non comme l’accumulation sans fin de pouvoir d’achat. Ainsi faudra-t-il replacer le sujet au centre du lien social et redéfinir la notion même de travail, peut-être en reprenant la notion de communs, en formulant une société participative où chacun contribuerait, non par une marchandisation de son travail mais par une participation échappant au marché, qui prendrait en compte son expertise, son talent, son apport social, culturel, humain, et non plus sa force de travail ni sa capacité d’assujettissement aux rapports de domination les plus âpres.

Or, ce moment particulier entre en contradiction profonde avec l’essence même de la pensée néolibérale qui est l’idéologie qui soutient la cité de la consommation. Le gouvernement actuel de la France, dans son rôle de représentant de cette idéologie sur notre territoire national, s’évertue donc à limiter la casse. Mais la contradiction est tenace et les messages forcément... contradictoires. En l’espace d’une heure on entend à la fois : “Restez chez vous !” et “Allez travailler !”. Heureusement que les Français font preuve de plus de lucidité sur la situation que leurs gouvernants car ils comprennent si leur poste est essentiel, et donc qu’ils doivent aller travailler, ou si, dans l’intérêt général, il vaut mieux qu’ils restent chez eux. Du côté des gouvernants, il aura fallu bien trop de jours pour passer du "Sortez au théâtre" au "Restez chez vous". Il en faudra encore pour décider enfin de mettre au service de la lutte contre le Covid-19 l’ensemble de la puissance nationale en indiquant qui est indispensable et qui ne l’est pas. Aucune main invisible n’est en mesure de mener la collectivité dans un effort commun, seul un État fort et républicain en détient tous les leviers et serait en mesure d’inspirer la France, dans son ensemble, à agir de concert dans la lutte. À faire Nation, en somme !

Ils n’ont ni les compétences, ni la grandeur qu’exigent les circonstances

Malheureusement, l’ENA - et son espace de pensée - ne forment pas à l’imagination, bien au contraire. Incapables d’une réflexion inventive et autonome, les dirigeants actuels s’en remettent aux scripts patiemment appris pendant leur formation. Il y en aurait, des choses à faire, pourtant. Les personnes qui nous gouvernent en ce printemps naissant ne sont pas des hommes d’État mais des comptables, des directrices des ressources humaines… Ils n’ont ni les compétences, ni la grandeur qu’exigent les circonstances.

Publié dans INFORMATION, VOS DROITS

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